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Banquets légitimistes

Mercredi 15 octobre 1879 ♦ Actualité

« Ma devise vis-à-vis des partis hostiles est celle-ci : Tout laisser dire et ne rien laisser faire. » Ainsi aurait répondu le président de la République à une personne qui croyait devoir appeler sa vigilance sur les banquets légitimistes du 29 septembre. Dans ces huit mots, M. Grévy a donné la formule du vrai gouvernement républicain et la règle de conduite de tout pouvoir public sûr de lui-même. Nous dirions presque qu’il a résumé le code entier de la liberté conciliée avec l’ordre social. Ne suffirait-il pas, en effet, de rédiger les paroles que nous venons de reproduire en texte de loi, pour résoudre de la façon la plus simple et la plus claire le problème du droit de parler et d’écrire, autour duquel nous éternisons un débat stérile, perpétuellement recommencé ?

La manifestation qui a motivé cette réponse du chef de l’État n’a pas été seulement inoffensive ; elle a-été utile, en montrant à quoi se réduit désormais en France l’armée de la monarchie traditionnelle. Ceux qui en avaient pris l’initiative doivent eux-mêmes reconnaître, à l’heure qu’il est, qu’ils ont commis la plus insigne des maladresses. On n’étale pas plus naïvement au grand jour l’insignifiance d’un parti et l’isolement d’un prétendant. Quelques centaines de convives, péniblement recrutés pour déguster des plats allégoriques, tels que des bouchées à la reine, ou des carpes à la Chambord, puis signant au dessert une déclaration de fidélité, voilà en deux mots l’histoire et le tableau de cette journée de la Saint-Michel, dont on a eu la singulière inspiration et la prétention plus singulière encore de faire le prélude des « viriles résolutions » mystérieusement indiquées dans une lettre récente du chef de la dynastie bourbonienne. Même en ajoutant au menu l’éloquence de M. Baragnon et de ses co-orateurs, c’est insuffisant pour préparer le renversement de la République et le relèvement d’un trône. Un jeu de mots, qui nous arrive de Touraine, a baptisé cette entrée en campagne politico-culinaire du nom à double entente de « journée des restaurateurs » ; c’est bien le titre qu’ambitionnaient les promoteurs de l’agape royaliste, mais pas précisément dans le sens que lui donne ici la malice gauloise des bords de la Loire.

De leur expédition gastronomique, il ne restera en somme que la constatation publique d’une nouvelle scission entre la branche aînée et la branche cadette de la maison de Bourbon. Le refus nettement, presque durement motivé, par lequel M. Edouard Hervé a répondu à l’invitation qui lui avait été adressée pour le banquet de Chambord, établit en termes formels que l’accord auquel on croyait depuis l’entrevue de Frohsdorf n’existe pas, « que cet accord paraît même plus éloigné que jamais de s’établir ». Nous voilà, en effet, rejetés bien loin de ce mois d’octobre 1873, où le rédacteur en chef du Soleil, alors directeur du Journal de Paris, célébrait par avance l’entrée prochaine du Roy dans sa bonne capitale, et, combinant les souvenirs de l’ancienne monarchie avec les réminiscences de sa grammaire latine, s’écriait dans un transport de lyrisme victorieux : Tenemus lupum auribus, — ce qui voulait dire en langage politique vulgaire : « Nous tenons la République par les oreilles. »

Il y a, de cela, six ans presque jour pour jour. De la fusion dont M. Edouard Hervé conduisait avec tant d’entrain le chœur triomphal, que reste-t-il ? Un banquet où le champion des princes d’Orléans ne veut même plus s’asseoir à côté des amis du comte de Chambord.

La Nouvelle Revue (Octobre 1879)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.