Gaule.com
Gaule.com

Banquets légitimistes

Samedi 1er novembre 1879 ♦ Actualité

Les banquets légitimistes du 29 septembre ont eu leur épilogue, le 14 octobre à la Roche-sur-Yon, l’ancienne Bourbon-Vendée. Le lieu avait été choisi avec l’intention visible de donner toute l’importance possible à cette manifestation retardataire. Pour lui imprimer plus de solennité, on l’avait fait précéder d’un pèlerinage à Lourdes, en manière de ce qu’on appelait autrefois la veillée des armes. De son coté, M. le comte de Chambord avait envoyé, avec mission de présider et de parler en son nom, un représentant spécial, lequel n’était rien moins que M. le comte Alexandre de Monti, secrétaire intime de Sa Majesté.

La présence de ce délégué royal avait accrédité le bruit que le programme d’action, vainement attendu depuis plusieurs semaines, allait enfin être lancé et le cri de ralliement jeté aux fidèles populations vendéennes. Il n’en a rien été. Le discours prononcé par M. de Monti ressemble à tous ceux que nous connaissions déjà. Le mandataire de Frohsdorff s’est bien écrié : « A l’œuvre, messieurs ! » Il a bien ajouté : « Nous sommes catholiques avec le Pape et royalistes avec le Roi. » Il a même déclaré que le Roi lui avait dit : « C’est l’heure où l’inaction et l’indilférence seraient, pour tout homme de cœur, une honte et une trahison ! » Mais il n’est pas allé au delà de ces innocentes exhortations, et son rôle s’est borné à donner le signal d’un assaut d’éloquence.

Parmi les jouteurs qui s’y sont particulièrement fait remarquer, nous trouvons les noms de MM. E. de la Bassetière et Baudry d’Asson. Nous trouvous également celui de M. Bourgeois, mais non plus en qualité d’orateur. Avec sa profession de médecin, M. Bourgeois cumule à ses heures celle de poète, et c’est en vers qu’il a voulu saluer l’aurore de la royauté future. L’ode est trop longue pour que nous puissions la reproduire ici ; cependant nous ne voudrions pas priver nos lecteurs des strophes qui en sont comme le couronnement. Voici dans quelle saisissante image le docteur-député, arrivé aux derniers transports du lyrisme, laisse déborder son enthousiasme :

A Chambord, je voyais, dans le lit de la Loire,
Des grèves, des sables mouvants...
Oh ! ces grèves souvent ont leur lugubre histoire !
Malheur aux nageurs imprudents !

Le plus habile y reste ; hélas ! plus il s’engage,
Plus il travaille sans succès !
Le pied cherche le fond et la main le rivage :
Et le rivage est là, tout près !

Regarde, malheureux! le brouillard se dissipe :
Vois ce vieux roc, là, près de toi :
Prends à droite ! Il te faut, à ma France, un principe,
Il est ici : Vire le Roi !

Connaissez-vous, dans la poésie française quelque chose de plus profond, de plus ingénieux, de plus habilement amené qiie ce : « Prends à droite » ? Le sonnet sur la fièvre de la princesse Uranie est dépassé. Il y a tout dans « Prends à droite ! » et le cri du Cœur, et l’avis charitable» et le conseil politique. Le mérite et l’honneur du poète sont ici d’autant plus grands que son nom seul lui rappelle ft chaque instant la place que tiendrait Sa Bourgeoisie dans la société monarchique restaurée.

Après les vers de M. Bourgeois, l’incident le plus notable du banquet de la Roche-sur-Yon a été le toast en trois parties porté par M. de Beaumont : « Vive Dieu ! — Vive le Pape ! — Vive le Roi ! » Voilà le vrai cri et le vrai programme de cette croisade plus cléricale encore que politique : le Roi lui-même ne vient qu’après le Pape, et quant à la France, on n’en parle pas.

En définitive, M. le comte Alexandre de Monti a dû repartir pour Frohsdorff, enchanté de ce qu’il avait vu et entendu dans la salle du festin, mais médiocrement édifié de ce qu’il avait vu au dehors. La population vendéenne, en effet, est restée spectatrice plus qu’indifférente de cette réunion gastronomique et n’a pas montré la moindre disposition à y attacher une importance politique quelconque. C’est encore un coup d’épée dans l’eau.

Le gouvernement, cependant, a pensé que la complète liberté laissée aux citoyens de donner libre carrière à leurs sympathies et à leurs vœux platoniques ne pouvait pas être étendue aux maires. Ceux-ci, représentants de l’autorité publique, agents de la loi et appelés à faire respecter les institutions existantes, ne sauraient être admissibles à renier et décrier publiquement ces mêmes institutions, à exprimer hautement l’espoir de les voir bientôt détruites. Les maires et adjoints de la Vendée qui étaient venus se grouper autour du délégué de M. le comte de Chambord onl, en conséquence, été frappés de révocation. C’est une mesure qui ne frappe que le fonctionnaire ayant méconnu son mandat, qui laisse intactes la liberté des consciences et l’indépendance des opinions, et contre laquelle ne s’élèvera aucune protestation en dehors des rangs du parti dont elle désarme les auxiliaires les plus efficaces.

La Nouvelle Revue (Novembre 1879)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.