Expositions artistiques
Chaque année, quelques mois avant le salon du Palais de l’Industrie, les cercles de la rue Volney et de la place Vendôme organisent des expositions artistiques qui en sont comme le lever de rideau ou la préface. Ces petits salons sont fort appréciés et obtiennent toujours un vif succès, justifié pleinement d’ailleurs par les conditions spéciales de leur organisation. Les exposants, dans l’un et l’autre cercle, sont presque tous des artistes de grand talent, quelques-uns même des maîtres de l’école contemporaine. Les œuvres qu’ils envoient ont pour la plupart un caractère particulier qui leur donne un grand charme et un intérêt spécial pour ceux qui s’occupent sérieusement de l’art et qui n’en font point simplement une distraction mondaine, une occupation agréable, intermittente. Ce sont des études produites sous l’impression d’une inspiration intime, des improvisations originales, des tentatives audacieuses, qui souvent nous font connaître un artiste plus sûrement et plus personnellement qu’une œuvre de longue haleine laborieusement entreprise et poursuivie, avec la préoccupation de l’opinion de la critique et du public. La quantité des tableaux est limitée à un nombre très satisfaisant, ni trop élevé pour produire la fatigue ni assez restreint pour laisser le regret d’une visite inutile. L’installation matérielle est irréprochable, l’hospitalité que les exposants offrent au public se distingue par son caractère de courtoisie et de familiarité de bon ton. Tout est donc à souhait dans ces petits salons et justifie leur succès artistique et leur vogue mondaine.
La coïncidence des expositions des deux cercles produit entre eux une émulation ardente qui sert merveilleusement les intérêts de l’art et du visiteur. C’est à qui organisera le salon le plus brillant, le plus intéressant, à qui réunira le plus d’œuvres de maîtres. L’amour-propre de membre de cercle et d’artiste est en jeu ; ce qui donne le plus de piquant et d’excentricité charmante à cette lutte, comme diraient les Anglais, c’est que quelques artistes, et parmi ceux qui se trouvent au premier rang, font partie des deux camps; ainsi MM. Bonnat, Carolus Duran, Gustave Doré, Gérome, Maignan, Worms, etc., entre autres, exposent à la fois rue Volney et place Vendôme.
Quel est le vainqueur cette année ? Nous estimons qu’il serait assez diffici le de le déclarer avec certitude ; l’un et l’autre ont organisé une exposition supérieure à celle des années précédentes. Comme on dit en terme de sport, ils sont à notre avis arrivés dead heat.
L’exposition de la place Vendôme contient entre autres œuvres de haute valeur : deux Meissonier superbes, un Voyageur, exécuté avec une virtuosité merveilleuse qui n’exclut, dans le caractère de la composition, ni la simplicité ni la grandeur, un Cavalier Louis XIII, une fantaisie de coloriste, qui pour être inférieure au précédent, n’en est pas moins une œuvre de haut prix ; un tableau militaire de M. Detaille, Parlementaire aux avant-postes, l’une des productions les plus pittoresques et les plus complètes du jeune maître ; un panneau décoratif, la Mélancolie, de M. Stevens, plein d’originalité et de poésie élégiaque ; deux tableaux de genre de M. Berne-Bellecour, Devant la grille des singes au Jardin d’acclimatation et En Corvée, où l’esprit pétille sans noyer le talent du peintre.
Suivant la tradition, les portraits sont fort nombreux à cette exposition ; nous signalerons particulièrement le portrait de M. Saucède par M. Bonnat, d’une couleur et d’une facture puissantes, très supérieur à ses portraits de petites filles réunies, Mlles Mizel et Henriette G..., aux tons lourdement empâtés, écrasant la chair et les muscles ; le portrait de M. X..., par M. Roll, qui nous rappelle, par ses qualités de coloris l’expression vivante de la physionomie, le superbe portrait de M. Jules Simon par le même artiste ; un portrait d’enfant et un portrait de dame par M. Carolus Duran, deux portraits de femmes par M. Jacquet, un portrait de jeune femme d’impression tizianesque par M. Vely.
Le cercle de la rue Volney peut opposer une série de portraits qui n’ont rien à redouter de la comparaison, plutôt préjudiciable pour le cercle de la place Vendôme. Le portrait de M. Jean Gigoux par M. Bonnat a plus d’originalité peut-être que celui de M. Saucède et la facture en est plus large. Le portrait de M. Sully-Prudhomme, par M. Carolus Duran, est une œuvre supérieure certainement, ainsi que son porti’ait de vieille dame, à ses deux envois au cercle de la place Vendôme.
Enfin, que pouvait offrir ce môme cercle à mettre en opposition aux deux portraits d’hommes de M. Bastien-Lepage, dans lesquels les têtes et les physionomies sont étudiées et rendues avec une finesse et une profondeur physiognomoniques dignes des Clouet, et aux deux études de têtes de jeunes filles de M. Henner, d’un coloris si merveilleux, à la Vérité de M. Baudry, cette fantaisie exquise de poète et d’artiste ?
Les poètes l’emportent au cercle de la rue Volney. M. Gérome a exposé dans l’un et l’autre ; il a envoyé rue Volney une Sentinelle turque, bien inférieure à celle de son tableau de la place Vendôme; une Antichambre, tableau de goût, exécuté dans une note très délicate et très spirituelle. Par contre, nous préférons le Perron de Tortoni de M. Jean Beraud, rue Volney, à son envoi de l’autre cercle. Enfin, pour terminer cette longue note sur nos petits salons artistiques, nous signalerons rapidement aux visiteurs, comme particulièrement intéressants : au cercle de la place Vendôme : le Charmeur de serpents de M. Constans, la Fête à Barcelone de M. Clairin, une Semonce de M. Delort, le Gué, un Chouan de M. Le Blanc, le Bac de M. Lewis Brown, les paysages de MM. Legé, Gustave Doré, un Buveur de M. Gros, le Portrait du général de Strowkoff de M. de Neuville, le Portrait de M. Woms par M. Maignan, etc. ; au cercle de la rue Volney, Clotaire au tombeau de Saint-Médard de M. Maignan ; des Vaches de M. Vuillefroid, des paysages de MM. Karl Daubigny, Plassan, Zuber.