Fête nationale
La question d’une fête nationale, qui est chez nous une maladie inoffensive, mais tenace, est revenue à l’ordre du jour à propos du 21 septembre. Le conseil municipal de Lyon voulait célébrer cette date, comme le conseil municipal de Paris avait voulu célébrer celle du 14 juillet. Une lettre de M. le ministre de l’intérieur a fait abandonner le projet.
L’intervention du gouvernement en cette matière, sans provoquer de protestations expresses, a été désapprouvée par quelques-uns et vivement discutée par beaucoup. Nous la croyons légitime et opportune, en tant qu’elle vise non pas la célébration d’une simple fête locale, mais la tendance à prendre dans nos éphémérides politiques lin jour qui ne tarderait pas à devenir, bon gré mal gré, une date de parti. C’est le malheur de notre histoire, depuis un siècle, de n’y pouvoir trouver un souvenir susceptible de rallier autour de lui, dans un sentiment de joie et de fierté communes, l’ensemble de la nation. Nous ne saurions empêcher ceux pour qui la prise de la Bastille a marqué une ère de décadence, ceux dont la république de 93 a emporté la fortune elles proches, d’attacher à ces réminiscences une pensée de regret ou de deuil. Toutes les journées mémorables de la lutte presque séculaire qui a finalement abouti au triomphe du principe républicain ont eu fatalement leurs vainqueurs et leurs vaincus. Les premiers n’en peuvent célébrer aucune sans froisser les seconds. L’élément essentiel d’une fête nationale, qui doit être l’unanimité des sentiments, manquera donc toujours, quels que soient le choix auquel on s’arrête et la sincérité d’intention qu’on y mette.
Il faut savoir attendre ou que le temps nous apporte quelque glorieux événement dont la France entière puisse faire un anniversaire national, ou que, grâce à cette puissance qui use tout, il ait en quelque sorte nivelé les souvenirs. Un moment viendra, nous l’espérons fermement, où une fête républicaine sera la fête de tous. Mais, jusque-là, vouloir inaugurer cette fête serait aller à l’encontre du but principal que nous avons à poursuivre et qui doit être d’ôter aux ressentiments des anciens partis non pas seulement tout motif, mais tout prétexte de se perpétuer.
L’institution d’une fête nationale est-elle, d’ailleurs, si nécessaire et si urgente ? Nous ne voyons que trois peuples qui en aient réellement une : les Etats-Unis, la Belgique et la Suisse, et chez tous trois elle se rattache à la conquête de l’indépendance, à l’établissement de l’autonomie. C’est la défaite et l’expulsion de l’étranger qu’on célèbre ; dans les combats dont on évoque le souvenir, il n’y a pas eu de vaincus à l’intérieur. Chez nous, au contraire, chaque date qu’on prononce éveille les échos de nos tristes luttes intestines ; laissons-les dormir.