Gaule.com
Gaule.com

L’Art au palais du Luxembourg

Lundi 1er mars 1880 ♦ Actualité

Un débat qui touche aux intérêts les plus vifs de l’art français est engagé entre le ministère des travaux-publics, pour le compte du Sénat, et le ministère des beaux-arts, défendant les droits des artistes contemporains. Le Sénat, trop à l’étroit dans les locaux qui lui sont affectés au Luxembourg, demande, pour y installer ses différents services, l’entière possession du palais avec toutes ses dépendances, ce qui entraînerait l’expulsion immédiate des musées de peinture et de sculpture modernes. La Direction des beaux-arts résiste à cette prétention, soutenue par les artistes qui, émus à juste titre, signent une pétition en faveur du maintien de leurs œuvres ou de celles de leurs maîtres dans ces galeries qui sont l’honneur de l’école française. Le Sénat fonde sa réclamation sur la loi du 3 nivôse an VII (24 décembre 1799), qui lui attribue le palais du Luxembourg. La direction des Beaux-Arts à son tour oppose le sénatus-consulte du 14 nivôse an XI, qui charge le chancelier, logé au Petit-Luxembourg, de la surveillance de la bibliothèque, de la galerie des tableaux et du cabinet des médailles. Des deux côtés les droits paraissent rigoureusement établis ; de part et d’autre la situation semble également nette. Si le Sénat n’a point assez de place pour ses bureaux, le ministère des beaux-arts n’en a pas davantage pour loger les toiles et les marbres qu’on l’obligera à faire enlever du Luxembourg. Le Louvre n’a plus une seule salle disponible; dans ses greniers, les œuvres des maîtres anciens gisent enroulées pêle-mêle; l’installation de l’école moderne dans ses galeries fût-elle d’ailleurs possible, ce mélange des écoles ne serait pas sans inconvénient. L’esprit qui anime les artistes d’aujourd’lmi diffère essentiellement de celui qui animait ceux d’autrefois. Les uns et les autres ont besoin d’être étudiés et jugés à part, sans comparaison, dans un cadre isolé. La séparation des musées est donc nécessaire. Nous aimons à croire cependant que, faute d’un local, l’administration n’en sera pas réduite à empiler les tableaux et les statues du Luxembourg dans un magasin de l’État jusqu’à ce qu’on leur trouve un asile. Il nous semble que le débat administratif, engagé à coups de rapports entre les deux ministères compétents, pourrait facilement se terminer à la satisfaction de tous les intérêts. L’extension demandée par le Sénat pour s’agrandir pourrait lui être donnée sous forme d’annexes, provisoires si l’on veut. On remettrait alors à l’étude la question, déjà abordée, d’affecter l’hôtel des affaires étrangères à notre Chambre haute, et d’installer ce ministère lui-même dans les bâtiments de l’ancienne Cour des Comptes reconstruits ; ou bien l’on attendrait la réinstallation de la préfecture de la Seine à l’Hôtel de Ville pour transporter le musée du Luxembourg dans le pavillon de Flore et la salle des États. Mais quelle que soit la solution adoptée, nous estimons qu’il est nécessaire de porter la question sur le terrain d’une transaction, si l’on ne veut pas la compliquer outre mesure, en se heurtant à des partis-pris ou à des froissements d’amour-propre.

La Nouvelle Revue (Mars 1880)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.