Le baron Taylor, Cham, le ténor Roger et Viollet-le-Duc
En 1868, vers cette époque de l’année, une même semaine voyait mourir Lamartine, Berryer et Rossini. Sans prendre, cette fois, ses victimes dans une aussi haute sphère de célébrité, la mort vient de frapper, dans les rangs de l’art et de la littérature, des coups précipités qui rappellent ce funèbre souvenir. En quelques jours, elle a enlevé le baron Taylor, Cham, le ténor Roger et Viollet-le-Duc.
Toutes ces pertes ne laisseront pas un vide égal, mais toutes ont eu un retentissement également douloureux. Chacun de ces hommes qui viennent de disparaître était une personnalité et représentait, pour ainsi dire, une part de tradition. Du baron Taylor, il suffit de prononcer le nom : tout le monde connaît l’œuvre à laquelle il avait consacré sa vie, et qu’il a eu, du moins, la satisfaction de laisser cimentée à jamais. Aussi longtemps qu’il y aura des artistes en France, vivra le souvenir de l’homme qui sut leur apprendre à mettre de côté leurs éternelles rivalités, pour chercher dans les bienfaits de l’association l’union qui fait la force, la solidarité qui permet de conjurer la misère. Un enseignement plus haut et plus général encore se dégage de cette existence vouée, pendant un demi-siècle entier, à la sollicitude pour les autres : elle montre ce que peuvent l’initiative et la persévérance, mises au service d’une idée généreuse.
Cham était un des derniers représentants de l’art ingénieux et délicat qui consiste à railler de la plume et du crayon sans blesser ; à être piquant, mordant même à l’occasion, sans devenir brutal ; à rendre la nature sous ses aspects les plus excentriques, sans tomber dans la charge grossière ; à dessiner vrai, enfin, sans verser dans l’ornière du naturalisme. Les rangs de ceux qui possédaient le secret dé cette juste mesure, — la mesure du goût et de l’esprit français, — s’éclaircissent de jour en jour. Le regret devient plus amer à chaque tombe nouvelle qui se ferme.
Roger, lui aussi, rappelait un style et une époque dont l’écho va s’affaiblissant. En passant du théâtre à l’enseignement musical, il y avait transporté les éminentes qualités qui firent, il y a trente ans, sa réputation de chanteur, et continuait ainsi, en les transmettant à ses élèves, les fortes méthodes d’une école d’où sont sortis tant de grands artistes.
Quant à M. Viollet-le-Duc, nos monuments historiques, à commencer par Notre-Dame de Paris, sont là pour rappeler les services qu’il a rendus à l’art dans sa plus haute et sa plus pure acception. A la fois architecte, archéologue, écrivain, administrateur, polémiste à ses heures, il portait en lui une de ces supériorités naturelles qui se font leur place et s’imposent partout où elles sont appelées à se produire. Il laissé, comme dernier souvenir de sa carrière si laborieuse et si remplie, d’importantes mesures prises sous son inspiration par le Conseil municipal de Paris, qui l’avait accepté pour guide dans presque toutes les questions du domaine artistique.