Pompéi
Les archéologues italiens, d’accord avec M. Fiorelli, directeur général des Musées du royaume, avaient projeté de se réunir à Pompéi le 24 août, jour anniversaire de la catastrophe qui, en engloutissant la ville il y a dix-huit cents ans, préparait aux générations futures l’étonnant spectacle d’une cité antique surprise au milieu de son existence quotidienne. Deux congrès devant toutefois être tenus à Naples au mois de septembre, — celui des ingénieurs et celui des sociétés historiques, — la réunion archéologique fut retardée, de manière à la faire coïncider avec cette double solennité. Elle a eu lieu le 25 septembre, au milieu d’une affluence énorme de savants, d’artistes et de curieux de toutes classes.
La journée a été ouverte par un remarquable discours de M. Ruggiero, l’habile et infatigable directeur des fouilles. Après avoir retracé à grands traits l’histoire de la ville ensevelie, de sa découverte et des premiers travaux d’exhumation entrepris en tâtonnant, M. Ruggiero a énuméré tout ce que le gouvernement de l’Italie unifiée a fait, depuis 1860, pour étendre et diriger au profit de la science et de l’art les recherches restées jusqu’alors à l’état d’explorations intermittentes de pure fantaisie. L’activité déployée, les sacrifices supportés ont été en effet considérables, mais considérables aussi les résultats obtenus. Dans cet espace de dix-huit années, on a déblayé une superficie d’environ 80,000 mètres carrés, c’est-à-dire près du triple de ce qui avait été fait en cent douze ans, de 1748 à 1860. La confection d’un plan général de la ville morte ; les moulages qu’on a trouvé moyen de prendre sur les empreintes d’hommes, d’animaux et d’objets de toute nature conservés par la cendre ; la restauration des édifices antérieurement découverts, notamment celle du Forum, du temple de Vénus, du Panthéon, de la maison de l’Hermaphrodite, de nombreuses fontaines, etc. ; le sauvetage et la réparation des peintures murales, que les précautions adoptées jusque-là compromettaient plus qu’elles ne les sauvegardaient ; l’étude minutieuse des constructions, des ferrures, des meubles, des ustensiles ; leur reproduction par de nombreux modèles ; enfin, les patientes recherches qui ont conduit à mettre hors de doute que Pompéi a été ensevelie, mais non pas incendiée, — tel est le sommaire de ce qu’ont accompli les ingénieurs et les savants, grâce à l’appui et au concours pécuniaire que leur a constamment prêtés, avec la libéralité la plus éclairée, le nouveau gouvernement italien.
M. Ruggiero n’a oublié qu’une chose : c’est de dire la part qui lui revient dans l’œuvre dont il faisait l’historique ; l’auditoire, il est vrai, s’est chargé de combler la lacune, n rendant hommage au savoir, à l’énergie, à la sagacité dont il n’a cessé de faire preuve dans la direction de ces travaux si délicats et si pleins d’embûches pour le chercheur inexpérimenté ou trop impatient.
Après ce discours, il a été procédé à des fouilles sur divers points de la ville enterrée et notamment dans plusieurs ilôts de la neuvième section. Ces fouilles ont amené la mise à découvert d’intéressantes peintures ; entre autres : Ariane abandonnée, Thisbé se jetant sur le corps de Pyrame expirant, d’après la narration d’Ovide ; Jason se présentant à Pélias, tandis que celui-ci offre un sacrifice à Neptune ; le dieu Pan, sous figure purement humaine, jouant avec des Nymphes ; Polyphème ; Persée et Andromède ; Philoctète debout, traînant péniblement sa jambe blessée. Dans un coin de cette dernière peinture, un stylet irrespectueux avait tracé une inscription dont on lit encore les mots suivants : « Filius solax quot mulierorum difu... » Un autre sujet, qui aurait présenté le plus haut intérêt, si malheureusement il n’était aux trois quarts détruit, est indiqué au bas du panneau qui le contenait par ces deux mots Dido-Æneas.
Les objets déterrés n’ont pas complètement répondu à l’attente de l’assistance, bien qu’on ait rencontré nombre de vases en bronze ou en terre cuite, d’ustensiles, de monnaies, de squelettes humains, etc. On peut toutefois citer comme ayant excité un vif intérêt de curiosité : une amphore sur laquelle on lisait Seppiæ Maximæ, et contenant en effet des débris de sèche mis probablement en conserve, d’après le mode usité aujourd’hui encore parmi les populations maritimes des Pouilles ; plusieurs ferrures pour métiers ; une quantité de légumes et de fèveroles ; un sac de semences de chanvre, etc.
M. Ruggiero a d’ailleurs saisi l’occasion de cette solennité pour publier un volume dont le titre seul sera un attrait, non uniquement pour les savants, mais pour les artistes et pour tous les curieux : Pompéi et la région souterraine du Vésuve en l’an 79. Ce volume est comme le rétablissement de Pompéi, d’Herculanum et de leurs environs, tels qu’ils étaient au moment du cataclysme, en même temps que l’histoire du Vésuve. Les vingt mémoires qui s’y trouvent rassemblés forment autant de chapitres, signés des noms les plus autorisés de l’Italie et dont chacun élucide un des points de ce vaste sujet.