Projet de loi
Un projet de loi mis au concours est chose nouvelle ; mais M. Émile de Girardin ne craint pas le nouveau, et les faits lui ont donné bien des fois raison.
On sait que l’infatigable doyen du journalisme français est président de la commission parlementaire chargée de colliger, de fondre et de codifier les lois sans nombre que nos divers régimes, depuis quatre-vingts ans, ont accumulées sur ou contre la presse. Naturellement, il a commencé par proposer à ses collègues un article unique qui supprimait toute législation spéciale et faisait de la liberté absolue de penser et d’écrire une liberté de droit commun. Cette proposition ayant été écartée, M. de Girardin a laissé la commission poursuivre son œuvre, eu lui apportant le concours de son expérience et de ses conseils ; cette œuvre s’est finalement résolue en un projet de loi composé de soixante et quelques articles.
La presse s’est emparée de ce projet, qui l’intéresse au premier chef. Une polémique s’est engagée sur toute la ligne, et il faut dire que la majorité des voix, parmi les journalistes, n’a pas été à beaucoup près en faveur du travail de la commission. Condamné par les uns comme trop compliqué, par les autres comme insuffisamment libéral, à peine a-t-il trouvé un petit nombre de timides défenseurs. Jusque-là rien que de fort ordinaire : c’est le sort réservé à tous les projets de loi sans distinction ; chacun a, en France, un idéal particulier en matière de législation sur chaque sujet, et trouve détestable tout ce qui ne réalise pas cet idéal. La réglementation de la presse est, en outre, un thème de discussion tellement large et tellement vague à la fois que le débat s’y égare à l’infini, et que jamais l’accord ne pourra s’y établir. Mais ce qui est plus singulier, c’est qu’on a pris à parLie et rendu responsable des complications de ce nouveau code l’homme précisément qui déclare chaque matin une bonne loi de presse impossible à faire, et qui aurait voulu y substituer en deux lignes le principe de la liberté pure et simple. On a reproché à M. de Girardin d’abord d’avoir laissé la commission s’égarer dans un tel pêle-mêle de dispositions confuses, ensuite d’avoir continué à la présider.
Sur le premier point, M. de Girardin a répondu avec infiniment de justesse qu’il n’avait ni mandat ni moyen de régenter les travaux et les décisions de la commission. Quant à donner sa démission, il a fait observer, non moins justement, que c’eût été un mauvais procédé envers les collègues qui lui avaient fait l’honneur de l’élire, sans compter que, en restant au milieu d’eux, il avait pu éclairer parfois leurs résolutions, sans en devenir pour cela solidaire. Un beau jour, enfin, poussé à bout par le brouhaha sans cesse grossissant de la critique, il a mis brusquement celle-ci au pied du mur et offert un prix de 1,000 francs à quiconque apportera un projet de loi reconnu meilleur que celui auquel on jette la pierre.
De prime abord, on n’a vu que le côté excentrique de l’idée ; elle a été accueillie comme une sorte de plaisanterie. Mais M. de Girardin l’a maintenue très sérieusement, et l’on commence à s’apercevoir que le défi qu’elle implique n’est point chose aussi légère qu’on l’avait cru. Ce n’est pas seulement une inspiration originale, c’est aussi une inspiration passablement embarrassante pour ceux à qui elle s’adresse, que de dire aux critiques du projet de loi : « Vous le trouvez mauvais ; vous prétendez que, en faire un meilleur, était la chose la plus facile du monde ; eh bien! faites-le ; vous n’en aurez pas seulement l’honneur, vous en aurez aussi la récompense. »
Le concours est donc ouvert. Il sera curieux, à plus d’un point de vue, d’en voir le résultat.