Réforme de l’Université
Le mouvement de réforme qui entraîne l’Université vient de recevoir une première sanction dans la session tenue par le conseil supérieur de l’instruction publique. En quelques séances, des changements qui, devant toute autre assemblée, eussent rencontré une opposition presque insurmontable, ont été introduits dans les programmes et les méthodes d’enseignement, à la grande satisfaction de tous les amis du progrès. Les délégués de notre grand corps enseignant ont teuu fidèlement les engagements contractés par eux au moment de leur élection. Ils n’ont point cherché à bouleverser les études classiques, comme on s’était trop hâté de le leur reprocher ; mais, pénétrés de ce principe qu’il faut être de son temps, ils ont jugé que certaines traditions avaient assez duré, et que l’éducation devait s’inspirer des besoins du monde moderne. Au fond, les réformes accomplies ont plutôt été des transactions, faisant très justement la part des habitudes acquises.
Nous ne pouvons ici énumérer en détail les décisions adoptées par le conseil supérieur. Il faut nous contenter de les indiquer dans leur ensemble.
La plus intéressante de toutes est la division des études en trois cycles ou périodes. On a trop considéré jusqu’ici chaque classe comme le prolongement naturel et nécessaire de la classe précédente, si bien que l’élève, bien ou mal doué, n’a qu’à se laisser faire pour sortir bachelier, après avoir passé par la filière .qui conduit de la neuvième à la philosophie. Ce système a, entre autres défauts, l’inconvénient de ne tenir compte ni des dispositions particulières des enfants pour un genre d’études déterminé, ni de leur insuffisance à poursuivre des études trop fortes pour leur intelligence. Il les oblige, en outre, une fois pris dans l’engrenage, à aller bon gré, mal gré, jusqu’au bout, jusqu’au diplôme, sous peine de perdre le bénéfice des études déjà faites. En supprimant le latin en huitième et en septième, pour ne le faire commencer qu’en sixième, le conseil supérieur a heureusement modifié cet état de choses. Il a créé une première période de trois années exclusivement consacrées à l’enseignement primaire supérieur. Les élèves seront initiés à la langue maternelle, aux langues vivantes ; ils acquerront des notions assez étendues de calcul, d’histoire et de géographie nationale. Si, à la fin de ce premier cycle, par nécessité ou pour tout autre motif ils ne peuvent suivre la carrière classique, leur séjour dans les classes élémentaires aura toujours été fructueux.
La seconde période embrasse les études latines jusqu’à la quatrième. Le grec ne sera appris que dans les classes supérieures où l’élève, lentement préparé par les études judicieuses qu’on lui aura fait faire dans les années précédentes, s’adonnera avec goût et profit aux humanités. Ainsi, à la fin de chaque période, l’enfant aura reçu une instruction générale suffisante par elle-même, étant donné son âge et les besoins du milieu où il est appelé à vivre.
En même temps, les exercices surannés — devoirs écrits dont on surcharge l’élève, analyse grammaticale, mot-à-mot, vers latins, discours latin — sont allégés ou supprimés. L’enseignement devra chercher à développer le jugement et la mémoire de l’enfant, et l’exercer à exprimer sa pensée. On y parviendra par les explications orales ou au tableau, les interrogations, les lectures commentées, etc.
Le baccalauréat a subi les remaniements corrélatifs aux changements introduits dans le cours des études. Le conseil a voulu qu’il fût désormais, non la constatation de l’assiduité des jeunes gens à suivre pendant dix ans les classes d’un lycée, mais la preuve incontestable qu’ils avaient profité des leçons des maîtres.
L’enseignement primaire a été aussi l’objet de la sollicitude du conseil. En attendant qu’une législation nouvelle vienne abroger cette loi odieuse de 1850 qui fait de l’instituteur communal le subordonné du curé, le domestique de l’Église, le conseil lui a rendu son indépendance en modifiant des décisions ministérielles et en refaisant le règlement pour les examens du brevet de capacité. L’instituteur sera le maître dans son école, sous la surveillance de ses chefs légitimes, et agira selon sa conscience à l’égard des choses de la religion.
Telle est dans ses grands traits la réforme décrétée. Le cadre est tracé ; reste l’application. Le règlement nouveau serait stérile, si les professeurs chargés de l’appliquer n’y voyaient que des prescriptions ordinaires, une consigne imposée. Avec les nouvelles méthodes, leur initiative devient prépondérante, et le champ est grand ouvert à leur activité professorale. La tâche est loin d’ètre au-dessus des forces et de l’esprit d’initiative de notre Université.