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Salle des États

Mercredi 15 octobre 1879 ♦ Actualité

Obligé de rendre au Sénat les locaux qu’il occupait au Luxembourg et ne pouvant encore prendre possession de l’Hôtel de Ville, dont la reconstruction, un moment activée,semble se ralentir depuis quelque temps, le conseil municipal de Paris va s’installer ces jours-ci dans la « salle des États » de l’aile sud des Tuileries. C’est une bien singulière construction que cette salle des États, commencée dans les derniers temps de l’Empire en vue de l’ouverture solennelle des Chambres. Ses dimensions immodérées, surtout dans le sens de la largeur, la font déborder sur la place du Carrousel comme un bâtiment adventice, et rompre ainsi le plus désagréablement du monde l’alignement de l’aile sud des Tuileries au point où cette aile se relie au Louvre, symétriquement avec l’aile nord. La conséquence de cette disposition sera une construction de môme importance en regard, au nord de la place du Carrousel, — le mur pignon y est déjà amorcé — et la transformation complète de l’aspect intérieur de l’œuvre de Visconti. Les artifices de perspective et les stratagèmes d’architecture destinés à masquer le défaut de parallélisme du Louvre et des Tuileries auront été combinés en pure perte. Le dedans de la salle des États n’est pas moins incompréhensible que le dehors. D’énormes murs soutiennent une toiture énorme, qui n’exigeait cependant pas de pareils supports, et ressemblent, pour qui les regarde de l’intérieur, aux constructions colossales de l’âge préhistorique. Jamais on n’a vu une telle masse de pierres de taille. On prétend que les plans de cette étrange construction ont été imposés à l’architecte par Napoléon III ; nous ne savons ce qu’il en est, mais on ne peut contester qu’ils témoignent d’une grande indécision dans l’esprit de celui qui les a conçus.

L’administration de la Ville de Paris, à laquelle on a livré cet immense vaisseau pour y loger son conseil municipal, y a inséré des constructions en bois fort habilement appropriées aux divers services C’est là que, après deux mois de travaux incessants, interrompus successivement par les grèves de tous les corps de métier du bâtiment, notre assemblée municipale se réunira le 20 de ce mois, afin de discuter le budget de la Ville de Paris, qui devra être mis à exécution à partir du 1er janvier prochain.

Ce n’est pas trop de soixante-dix jours pour une pareille tâche, si l’on remarque, d’une part, que la législation exceptionnelle imposée à Paris et à sa banlieue fait de chaque conseiller municipal de Paris un membre du conseil général de la Seine, et, d’autre part, que la session budgétaire de ce conseil général n’est pas régie par la loi du 10 août 1871 et n’a pas dès lors été tenue en même temps que celle des autres conseils généraux, en août dernier. L’état anormal du département de la Seine, cet état d’infériorité légale, par rapport aux autres départements, que le premier Empire a inventé, que les régimes subséquents ont maintenu et légué à la République, a donc, entre autres conséquences, celle-ci : que les conseillers municipaux de Paris, obligés de consacrer les dernières semaines de l’année à voter le budget de la Ville, doivent encore trouver le temps, pendant cette courte période, d’élaborer le budget du département de la Seine.

Une pareille situation se justifie d’autant moins, que le budget de la Ville de Paris égale à lui seul et même surpasse celui de la plupart des États secondaires de l’Europe. Ses recettes ordinaires ;, pour l’exercice 1880, sont évaluées à 228,115,579 fr. 54 c., et ses recettes extraordinaires à 4,987,000 fr., ce qui représénte un ensemble de voies et moyens de 233,102,579 fr. 54 c., appliqué par le budget des dépenses à des services aussi variés qu’importants.

Le conseil municipal n’aura pas seulement, dans la laborieuse session qui va s’ouvrir, à discuter l’évaluation des recettes et la quotité des dépenses. Une commission du budget, très fortement organisée, dès l’année dernière, sous l’impulsion de M. de Heredia, le président actuel du conseil, lui facilitera d’ailleurs cette œuvre. Mais à côté des discussions purement budgétaires, il en surgira d’autres non moins dignes d’attention, telles que celles de la reconstruction de l’hôtel des Postes, du classement des grands travaux par degré d’urgence, de l’extension de l’enseignement laïque, du contrôle, de l’organisation de la police municipale. Toutes ces questions, et bien d’autres encore, ont été déjà plusieurs fois abordées par le conseil ; mais, par une raison ou par une autre, elles ont été presque aussitôt ajournées. Elles ne peuvent manquer de recevoir prochainement une complète solution.

La Nouvelle Revue (Octobre 1879)
Imprimé sur une presse rotative virtuelle à l'imprimerie municipale de Cheynac.